De la Commission Européenne à Bill Gates, en passant par Emmanuel Macron. Beaucoup de discours contemporains présentent l’innovation comme LA solution à tous les maux du 21ᵉ siècle. Vieillissement de la population, dérèglement climatique, difficulté sur les ressources énergétiques et minières, et plus largement les problématiques environnementales.
Paradoxalement, cette notion qui n'a jamais été aussi centrale qu'aujourd'hui est aussi encore très largement incomprise ou mal comprise. Ainsi, plusieurs questions se posent quant à cette notion et ses utilisations sur le terrain. On pourrait par exemple questionner son omniprésence dans différents discours et comme solution en soi face à diverses problématiques majeures, cela donne à réfléchir sur sa ou plutôt ses significations. En effet, plus un mot est utilisé, moins il a de sens, ou plutôt plus il en a de différents. Pour certains penseurs comme Etienne Klein, l’innovation a même remplacé l’idée de progrès (2019).
Plus largement, on remarque un grand nombre d’autoproclamés "experts" en innovation, comme s’il suffisait de vivre une ou des expériences pour maîtriser l’innovation.
On pourrait ainsi se demander à partir de quel moment devient-on expert en innovation ? Est-ce que vivre une ou des innovations suffit pour devenir expert ? Au niveau des entreprises, quelles sont celles qui se présentent comme non innovantes ? Avez-vous déjà entendu une entreprise se proclamer non innovante ? Cette injonction à l’innovation pour l'ensemble des entreprises pose problème, car le concept n’apporte plus d’informations. Enfin, est-ce que l'innovation ne devrait pas venir de l'extérieur et non de l’intérieur ? En d’autres termes, est-ce que ce ne devrait pas être aux observateurs et analystes, de définir quelle entreprise ou quel produit est innovant, et non aux acteurs eux-mêmes ?
Par ailleurs, sur le terrain, on observe une obsession des notions d’innovations disruptives ou de rupture. Celle-ci focalise l’attention sur la production d’outils ou d’écosystèmes trop souvent déconnectés des variables humaines et environnementales. Ainsi la rupture est pensée trop tôt dans le processus d’innovation et dénote d’une logique technocentrisme et techno-solutionnisme. Pourtant, l’innovation est bien plus large et les processus intègrent des processus sociaux difficiles à anticiper lors de la conception. Dans la plupart des cas, c’est bien après la sortie d’un nouveau produit ou système que les innovations se finalisent. Est-ce internet ou plutôt le web qui change le monde ? Est-ce l'IPhone ou l'Apple Store avec les applications qui change radicalement les usages de smartphone ? Ainsi, une appropriation sociale est nécessaire pour finaliser l'innovation et les start-ups le savent bien en cherchant à "pivoter".
Mais que savons-nous vraiment de l'innovation ? Quelles sont les conséquences de ces incompréhensions sur les situations concrètes ? Comment dépasser l'injonction stérile de "l’innovation disruptive" ? Et surtout, qu'est-ce que les sciences cognitives et sociales peuvent apporter comme éclairage concret ?
Voilà les questions qui sont les fils conducteurs de cette conférence réalisée pour l’association des Alumnis de Rennes Business School.
Merci à Rémi Rivas pour l'invitation, c’était un plaisir de préparer cette conférence ensemble.
- Akrich, M., Callon, M. & Latour, B. (1988). À quoi tient le succès des innovations. Gérer et Comprendre. Annales des mines, 11, 4-17.
- Barnett, H. (1953). Innovation : the Bases of Culture Change. New York, McGraw-Hill.
- De Vries, A. (2021). Bitcoin Boom: What Rising Prices Mean for the Network's Energy Consumption. Joule, 5, 509-513.
- De Vries, A. (2022). Cryptocurrencies on the road to sustainability: Ethereum paving the way for Bitcoin. Patterns. 4. 100633. 10.1016/j.patter.2022.100633.
- Latour, B. (1992). Aramis, ou l’amour des techniques. Paris, La Découverte.
- Klein, É. (2019). Progrès et innovation : quels liens ?. Raison présente, 210, 95-103.
- https://www.carbone4.com/analyse-empreinte-carbone-du-cloud
- Schumpeter, J. (1934). The Theory of Economic Development. Cambridge, Harvard University Press.
- Sfez, L. (1973). Critique de la décision. Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.
- Tushman, M., & Moore, W. (1988). Readings in the Management of Innovation. Cambridge, Ballinger.
- Zaltman, G., Duncan, R., & Holbeck, J. (1973). Innovations and Organizations. New York : Wiley.